Retsudvalget 2020-21
REU Alm.del
Offentligt
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Communiquée le 23 janvier 2020
Publié le 10 février 2020
CINQUIÈME SECTION
Requête n
o
24384/19
H.F. et M.F.
contre la France
introduite le 6 May 2019
EXPOSÉ DES FAITS
1. Les requérants, H.F. et M.F., sont des ressortissants français nés
respectivement en 1958 et en 1954 et résidant à Chelles. Ils sont représentés
devant la Cour par M
e
M. Dosé, avocat exerçant à Paris.
A. Les circonstances de l’espèce
2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants,
peuvent se résumer comme suit.
3. Les requérants sont les parents de L., née en 1991, qui a quitté avec
son compagnon le territoire français le 1
er
juillet 2014 pour rejoindre le
territoire contrôlé par l’organisation « État islamique » (EI) en Syrie. À la
suite du départ de L., une information judiciaire fut ouverte du chef
d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme
(paragraphe 26 ci-dessous) au tribunal de grande instance de Paris et un
mandat d’arrêt fut délivré à son encontre. Aucune information ne figure au
dossier sur l’ouverture et l’état de cette procédure.
4. L. et son compagnon, qui est décédé en février 2018 dans des
circonstances que les requérants ne précisent pas, ont eu deux enfants en
Syrie, respectivement nés les 14 décembre 2014 et 24 février 2016.
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EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – H.F. ET M.F. c. FRANCE
5. Depuis 2016, L. ferait part aux requérants de son désir de rentrer en
France avec ses deux enfants. Ils auraient été arrêtés le 4 février 2019 dans
des circonstances qui ne sont pas précisées et sont tous les trois actuellement
retenus dans le camp d’Al-Hol dans le Kurdistan syrien, camp de réfugiés
administré par les Forces démocratiques syriennes (FDS)
1
. Selon un
communiqué de Médecins sans frontières (MSF) actualisé au 12 novembre
2019, « la plupart des résidents du camp d’Al-Hol sont arrivés entre
décembre 2018 et mars 2019, après avoir fui de violents combats au sol et
des bombardements aériens ou après avoir été emmenés de zones du
gouvernorat de Deir-ez-Zor où avait eu lieu la bataille finale entre le groupe
Etat islamique (EI) et les Forces démocratiques syriennes ». MSF précise
que « la situation humanitaire est critique dans le camp surpeuplé. (...) Selon
les autorités du camp, quelque 73 000 personnes y vivent maintenant. Et
94 % d’entre elles sont des femmes et des enfants. Les conditions sont
encore plus difficiles dans la zone appelée « Annexe » où
11 000 « ressortissants de pays-tiers », dont 7 000 enfants, sont retenus dans
un espace délimité par une clôture ».
6. L’état de santé de L. et de ses deux enfants serait déplorable. L. serait
très amaigrie et aurait souffert d’une fièvre typhoïde sévère non soignée.
L’un de ses enfants aurait reçu des éclats d’obus sans être soigné, l’autre
serait dans un état d’instabilité psychologique important. Les requérants
fournissent la copie d’un message de L. écrit sur une feuille de papier
qu’elle aurait prise en photo et envoyée par téléphone. Ce message est ainsi
rédigé :
« Je soussignée F.L. née le 16/07/91 à Paris 18
e
, actuellement dans le camp d’Al-
Hol à Hassaka en Syrie, demande à être rapatriée en France avec mes 2 enfants, S. 3
ans et S. 4 ans nés en Syrie.
Le 16/04/2019 »
7. Par plusieurs courriers adressés au ministre de l’Europe et des
Affaires étrangères (ci-après le ministre), au président de la République et à
son chef de cabinet en janvier et mai 2018, le conseil des requérants
demanda le retour de L. et de ses enfants en France.
8. Les 10 janvier et 13 mars 2018, le directeur de cabinet du président de
la République lui répondit. Il commença par rappeler que L. était
délibérément partie rejoindre une organisation terroriste en guerre contre la
coalition à laquelle participait la France, et qu’elle s’était maintenue au sein
de cette organisation jusqu’à sa capture. Il fit valoir qu’il appartenait, dans
1
Les FDS sont une coalition militaire formée en octobre 2015 pendant la guerre civile
syrienne active dans le nord de la Syrie qui visent surtout à chasser l’EI de la zone.
Largement dominées par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), les FDS
regroupent également des rebelles arabes proches de l’Armée syrienne libre, des tribus
locales comme l’Armée Al-Sanadid et des chrétiens du Conseil militaire syriaque.
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ces conditions, aux autorités locales de se prononcer sur la responsabilité de
L. dans des crimes ou délit, précisant que « l’aspiration légitime de ces
autorités à juger les auteurs et complices des atrocités commises au premier
chef dans la zone passée sous le contrôle de Daech ne saurait être ignorée ».
Il précisa que si aucune responsabilité ne devait être retenue à l’encontre de
L., la France prendrait des initiatives adaptées à sa situation au regard du
mandat d’arrêt dont elle faisait l’objet. Il précisa que la position du
Gouvernement français était rappelée dans une note non datée intitulée
« Demandes de rapatriement de ressortissants français détenus dans la zone
du Levant » qu’il joignit à son courrier. Cette note indique ce qui suit :
« 1) Rappel : ces personnes sont parties de leur propre initiative rejoindre une
organisation terroriste qui a commis dans cette zone des exactions contre les
populations locales d’une violence sans équivalent. Cette organisation terroriste a
commis et fomente actuellement encore des attentats en France qui ont déjà fait de
nombreuses victimes.
2) La question du rapatriement de ces personnes qui, après avoir rejoint les
contingents de DAECH, sont aujourd’hui détenues par les autorités et forces
militaires qui ont libéré les territoires anciennement contrôlés par l’organisation
terroriste, ne saurait faire abstraction du contexte de guerre dans la région, à laquelle
elles ont pris part. En Syrie, cette guerre n’est d’ailleurs pas terminée, des combats
se poursuivent et la situation institutionnelle n’est donc pas stabilisée.
3) Leur situation doit être appréciée dans le respect de la légalité internationale et
dans le cadre des relations avec les États dans lesquels ces personnes sont détenues
et, enfin, des procédures judiciaires déjà engagées, ou susceptibles de l’être, à
l’étranger ou en France. (...)
6) S’agissant des Français majeurs détenus en Syrie, la France n’a pas de relations
diplomatiques avec ce pays encore, en de nombreux endroits, zone de guerre. C’est
pourquoi, notre intervention s’exerce d’abord à travers les organismes
internationaux compétents dans de tels cas, en particulier via le Comité international
de la Croix-Rouge (CICR). Il appartient aux autorités locales de se prononcer sur la
responsabilité que ces Français majeurs pourraient avoir dans les crimes ou délits
commis dans ce territoire du fait de leur appartenance à une organisation terroriste.
(...)
9) S’agissant des mineurs français en Irak ou en Syrie, ils ont droit à la protection
de la République et peuvent être pris en charge selon les règles concernant la
protection des mineurs et rapatriés, sous réserve que leur responsabilité pénale ait
été écartée par les autorités locales.
10) Lorsque des personnes majeures rejoignent le territoire national, elles sont
évidemment systématiquement prises en compte dès leur arrivée en France par
l’autorité judiciaire qui détermine leur responsabilité pénale. S’agissant des mineurs
de retour sur le territoire national, si l’autorité judiciaire écarte une responsabilité
pénale, ils font systématiquement l’objet d’un suivi particulier, notamment médical
et psychologique, sous le contrôle d’un juge des enfants. »
9. Dans un communiqué du 15 mars 2019, ainsi rédigé, le ministre fit
savoir que la France avait procédé au retour de plusieurs mineurs orphelins,
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EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – H.F. ET M.F. c. FRANCE
âgées de moins de cinq ans, qui se trouvaient dans les camps du nord-est de
la Syrie :
« Ces enfants font l’objet d’un suivi médical et psychologique particulier et ont été
remis aux autorités judiciaires.
Les proches concernés, qui étaient en contact avec le ministère, ont été informés.
La France remercie les Forces démocratiques syriennes de leur coopération, qui a
rendu possible cette issue.
La décision a été prise au regard de la situation de ces très jeunes enfants
particulièrement vulnérables.
S’agissant des ressortissants adultes, combattants et djihadistes ayant suivi Daech au
Levant, la position de la France n’a pas changé : ils doivent être jugés sur le
territoire où ils ont commis leurs crimes. C’est une question de justice et de sécurité
à la fois. »
10. Par une requête enregistrée le 5 avril 2019, les requérants
demandèrent au juge des référés du tribunal administratif de Paris
d’enjoindre au ministre d’organiser le rapatriement en France de leur fille et
de leurs petits-enfants, faisant valoir que ces derniers étaient exposés à des
traitements inhumains et dégradants et à une atteinte grave et manifestement
illégale au droit à la vie. Ils firent valoir que le rapatriement des enfants se
justifiait pour des raisons humanitaires évidentes, les conditions de
détention inhumaines au sein du camp étant attestées par de nombreuses
organisations internationales. Ils arguèrent de la responsabilité de l’État, au
titre de ses obligations positives, de protéger les individus dépendant de sa
juridiction en indiquant que « la responsabilité de l’État concerne aussi bien
les individus se trouvant sur son territoire que ses ressortissants présents
dans une zone extérieure au territoire national sur laquelle il exerce un
contrôle en pratique. Le rapatriement par les autorités françaises de
cinq enfants orphelins détenus dans ce camp le 15 mars dernier met en
exergue la capacité décisionnelle et opérationnelle du ministère des Affaires
étrangères d’organiser et de procéder au rapatriement de ces enfants ».
11. Par une ordonnance du 10 avril 2019, le juge des référés rejeta la
demande :
« Le rapatriement sollicité de ressortissants français retenus, hors du territoire
national, dans une zone contrôlée par des forces étrangères impliquerait des mesures
qui ne sont pas détachables de la conduite de l’action extérieure de la France. Il
constitue dès lors, de même que le refus de l’effectuer, un acte échappant à la
compétence de la juridiction administrative. »
12. Le 11 avril 2019, le conseil des requérants intervint une nouvelle fois
auprès du président de la République et du ministre pour qu’ils organisent le
rapatriement de L. et de ses deux enfants. Il fut simplement accusé réception
de ses courriers.
13. Les requérants interjetèrent appel de l’ordonnance du 10 avril 2019.
Ils firent valoir que le juge administratif devait exercer un contrôle sur
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l’inaction de l’État et son refus de prendre des mesures de nature à faire
cesser les traitements inhumains et dégradants ainsi que le risque de mort
auquel étaient exposés des ressortissants français et en particulier des
enfants. Ils indiquèrent que la situation d’urgence était remplie et reconnue
par les autorités françaises qui avaient procédé au rapatriement de
cinq enfants le 15 mars 2019. Outre les articles 2 et 3 de la Convention, ils
soulignèrent que l’inaction des autorités privait leur fille et leurs
petits-enfants de retour sur le territoire national en violation de l’article 3 du
Protocole n
o
4 à la Convention.
14. Dans son mémoire devant le Conseil d’État, le ministre fit valoir, à
titre principal, que la mesure demandée relevait de la catégorie des actes de
gouvernement dont le juge ne pouvait pas connaître. Il indiqua à cet égard
que l’opération de rapatriement demandée supposait la négociation d’un
accord entre l’État français et les autorités étrangères ayant le contrôle de
ses ressortissants ainsi que le déploiement de moyens matériels et humains,
généralement militaires, sur un territoire étranger contrôlé en l’occurrence
par les FDS. Il en conclut que « la mise en œuvre d’une mesure d’assistance
telle que le rapatriement demandé était indétachable de la conduite des
relations extérieures et qu’elle ne saurait être ordonnée par une juridiction ».
À titre subsidiaire, le ministre argua de l’absence de « juridiction » de la
France sur ses ressortissants retenus en Syrie pour en déduire que les
requérants ne pouvaient valablement invoquer la violation par l’État de ses
obligations conventionnelles. Rappelant que l’application de la Convention
était essentiellement territoriale, il indiqua que les circonstances de fait
examinées n’étaient pas de nature à engager la responsabilité de l’État pour
les raisons suivantes : la France, en premier lieu, n’exerce aucun contrôle
sur les ressortissants concernés par le biais de ses agents car ils sont sous le
seul contrôle des autorités du nord-est syrien ; la France, en second lieu,
n’exerce aucun contrôle territorial sur les camps, en l’absence d’influence
politique et militaire décisive sur ce territoire. À cet égard, il indiqua que le
seul fait que la France soit membre de la coalition internationale qui
entretient un partenariat opérationnel avec les FDS dans la lutte contre
Daech ne signifiait pas qu’elle exerce une influence décisive sur le territoire.
Il ajouta que rien n’établissait l’existence d’une administration locale
subordonnée à la France au sens où l’entend la Cour dans sa jurisprudence.
En particulier, il indiqua que le rapatriement de plusieurs mineurs isolés en
mars 2019 ne matérialisait pas un contrôle effectif sur la zone, rappelant que
cette opération était le résultat d’un accord avec les FDS à l’issue d’un
processus de négociation.
Enfin, et à titre très subsidiaire, le ministre fit valoir que l’obligation
positive de rapatriement invoquée par les requérants n’avait pas de
fondement légal international. Il précisa que le rapatriement opéré de
quelques mineurs orphelins et vulnérables avaient été décidés au regard de
considérations humanitaires. Il poursuivit en indiquant que « l’examen de la
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situation des enfants se fait en effet au cas par cas. Ce sont des situations
humaines particulièrement complexes, que la France traite en accordant la
priorité de son attention aux intérêts de l’enfant ».
15. Par une ordonnance du 23 avril 2019, le Conseil d’État rejeta la
requête des requérants :
« La requête (...) a pour objet soit que l’État intervienne auprès d’autorités
étrangères sur un territoire étranger afin d’organiser le rapatriement en France de
ressortissants, soit qu’il s’efforce de prendre lui-même des mesures pour assurer leur
retour à partir d’un territoire hors sa souveraineté. Les mesures ainsi demandées en
vue d’un rapatriement, qui ne peut être rendu possible par la seule délivrance d’un
titre leur permettant de franchir les frontières françaises, ainsi que cela a été
demandé à l’audience, nécessiteraient l’engagement de négociations avec des
autorités étrangères ou une intervention sur un territoire étranger. Elles ne sont pas
détachables de la conduite des relations internationales de la France. En
conséquence, une juridiction n’est pas compétente pour en connaître. »
16. Le 21 mai 2019, le représentant des requérants fit parvenir à la Cour la
copie d’un texte rédigé par L. « qui l’a photographié à l’aide d’un téléphone
portable qui ne semble pas être le sien aux fins de me donner pouvoir de la
représenter pour obtenir son rapatriement en France » :
« Je soussignée, M
elle
F. née le 16/07/1991 (...) donne procuration à Maître Dosé
pour représenter mes intérêts en vue de mon rapatriement en France
Le 6/5/2019
À Hassaka».
17. Dans un communiqué du 10 juin 2019, le ministre informa que la
France avait procédé au retour de douze jeunes français mineurs, orphelins
ou isolés, qui se trouvaient dans des camps du nord-est de la Syrie.
B. Cadre juridique interne pertinent
1.
La décision du Défenseur des droits du 22 mai 2019
18. Dans sa décision n
o
2019-129 du 22 mai 2019, le Défenseur des
droits, saisi par des grands-parents de petits-enfants retenus avec leurs
mères dans des camps contrôlés par les FDS, constate que la rétention de
ces derniers constitue une atteinte caractérisée aux droits garantis par la
Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et par la
Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
19. Sur l’application extraterritoriale de la Convention aux conditions de
rétention des enfants et de leurs mères dans les camps sous le contrôle des
FDS, le Défenseur souligne l’influence politique et militaire exercée par la
France dans le Nord de la Syrie :
« L’État français intervient dans le nord de la Syrie dans le cadre de l’opération
militaire Chammal depuis la décision en ce sens du président de la République du
8 septembre 2015
1
et dans le cadre de la résolution 2249 (2015) adoptée par le conseil
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EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – H.F. ET M.F. c. FRANCE
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de sécurité des Nations Unies qui lui permet de prendre toutes mesures nécessaires à
la lutte contre le terrorisme en Syrie
1
. La France «
œuvre pour la stabilisation des
zones libérées de Daech dans le nord de la Syrie
» ; ainsi que pour la structuration
d’une «
gouvernance
» au nord de la Syrie
2
. À cette fin, la France a mis en place un
partenariat militaire et diplomatique avec les FDS, notamment dans l’établissement
d’un dialogue avec la Turquie
3
. Selon les déclarations du ministre de l’Europe et des
affaires étrangères, ce partenariat consiste à mener avec les FDS un « combat
commun » contre le terrorisme. En ce sens, Monsieur Bernard Bajolet, ancien
directeur de la Direction générale des services extérieurs, a souligné lors de son
audition par la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
du Sénat le 6 mars 2019, que «
la France a [...] soutenu un certain nombre de
groupes d’opposition. En particulier les Kurdes, pas pour des raisons idéologiques
mais parce qu’il s’agit des partenaires les plus fiables dans la lutte contre Daech que
nous n’aurions pas pu vaincre sans eux.
[...]
C’est grâce aux Kurdes, aux Forces
démocratiques syriennes aussi, que Daech a été chassé du nord de la Syrie. Nous les
avons beaucoup aidés, la France était à Kobané bien avant les Américains »
4
.
L’importance et la continuité de ce soutien et de cette collaboration ont également été
évoquées lors d’une conférence de presse conjointe le 25 février 2019 avec le
Président de la République d’Irak, s’agissant de la situation de certains ressortissants
français capturés au nord de la Syrie puis transférés en Irak
5
. L’influence décisive de
la France sur les FDS a en outre été précisée dans un communiqué du 15 mars 2019
dans lequel le ministère de l’Europe et des affaires étrangères indique que «
la France
a procédé ce jour au retour de plusieurs mineurs orphelins et isolés, âgés de 5 ans et
moins, qui se trouvaient dans des camps du nord-est de la Syrie
», tout en remerciant
«
les Forces démocratiques syriennes de leur coopération, qui a rendu possible cette
issue
»
6
. Elle a été confirmée dans un communiqué de presse du 19 avril 2019 de la
présidence de la République, relatant la réception d’une délégation des FDS durant
laquelle « [le Président de la République]
les a assurés de la poursuite du soutien actif
de la France dans la lutte contre Daech, qui continue de représenter une menace pour
la sécurité collective, et notamment dans la gestion des combattants terroristes faits
prisonniers et de leurs familles
»
7
1
Ministère des Armées, Dossier de presse – Opération Chammal, février 2018 [L’opération Chammal
repose sur deux piliers complémentaires : un pilier « appui » destiné à soutenir les troupes engagées au
sol contre Daech (10 avions Rafale, avions de combat, sur les bases aériennes situées en Jordanie et aux
Émirats Arabes Unies - engagement du groupe aéronaval, 2 800 marins français - 8 groupements
d’artillerie déployés en Irak : 150 militaires de la Task force Wagram armant jusqu’à quatre canons
CAESAR jusqu’en mars 2019) ainsi qu’un pilier « formation » au profit des forces de sécurité nationales
irakiennes (une centaine de militaires déployés à Bagdad).
1
Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 2249 (2015) adoptée à sa 7565
e
Séance, le
20 novembre 2015, S/RS/2249 (2015)
2
Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Point Presse 30 mars 2018
3
Elysée, « Entretien du Président de la République avec une délégation syrienne », communiqué de
presse, 30 mars 2018
4
Elysée, « Conférence de presse d’Emmanuel Macron et Barham Saleh »
5
Elysée, « Conférence de presse conjointe d’Emmanuel Macron et Barham Saleh, Président de la
République d’Irak », Communiqué de presse, 25 février 2019
6
Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Communiqué, 15 mars 2019
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20. Le Défenseur considère que les enfants français sont retenus dans
des conditions extrêmes à tout point de vue et que leur intérêt supérieur
n’est pas pris en compte. Ils subissent, selon lui, une atteinte à leurs droits à
la survie et au développement, à une identité, à être protégé contre toute
forme de violence, à la santé et à l’éducation et sont arbitrairement privés de
liberté (articles 6, 7, 19, 24 alinéa 1, 29 et 37 de la CIDE).
21. Le Défenseur indique encore que les enfants français et leurs mères
sont soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention
(surpopulation dans les camps et installations inappropriées concernant le
chauffage, les conditions sanitaires, le couchage, la nourriture, les loisirs et
les contacts avec le monde extérieur) et qu’ils sont détenus arbitrairement en
violation de l’article 5 de la Convention.
22. Se fondant sur la Commission d’enquête sur la République arabe
syrienne du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies qui
recommande notamment que les « parties au conflit – aussi bien lorsqu’elles
dirigent des opérations militaires que lorsqu’elles participent à des
négociations – libère les enfants, les femmes de tous les centres de
détention » (Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, rapport de la
Commission d’enquête internationale indépendante sur la république arabe
syrienne », 1
er
février 2018, A/HRC/37/72), le défenseur soutient qu’il y a
nécessité pour la France, compte tenu de son « influence décisive » sur les
FDS, « partenaire politique et militaire », d’adopter des mesures effectives
permettant de mettre fin aux violations des articles 3 et 5 de la Convention.
23. Le Défenseur estime encore que les enfants et leurs mères ne
disposent pas d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention
pour faire cesser et réparer les atteintes aux droits garantis par les articles 3
et 5 de la Convention. Il déplore les décisions d’incompétence du juge
français (paragraphes 11 et 15 ci-dessus, et 27 ci-dessous) qui constituent
« une restriction à l’accès au juge garanti par l’article 6 § 1 » et qui « ne se
fondent pas sur une base textuelle qui permettrait le cas échéant de solliciter
un examen de constitutionnalité ». Il ajoute que les intéressés n’ont pas non
plus de recours administratif effectif, le ministre leur ayant indiqué à
plusieurs reprises que la France ne dispose plus de représentation en Syrie
depuis 2012 et qu’elle n’est pas en mesure d’exercer la protection consulaire
telle que prévue par la Convention de Vienne de 1963 à l’égard des
ressortissants français. Il explique que la France dispose des moyens
opérationnels de rapatrier les enfants, ainsi que le démontre l’opération de
mars 2019 (paragraphe 9 ci-dessus), qui ne sont pas conditionnés par la
protection consulaire.
7
Élysée, « Entretien du Président de la République avec une délégation des Forces démocratiques
syriennes engagées en première ligne contre Daech », Communiqué de presse, 19 avril 2019
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EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – H.F. ET M.F. c. FRANCE
9
2.
L’avis de la Commission nationale consultative des droits de
l’homme (CNCDH) du 24 septembre 2019
24. Dans un courrier du 27 mai 2019 adressé au Premier ministre, le
président de la CNCDH a dans un premier temps dénoncé la politique du
« cas par cas » pour le rapatriement des enfants retenus dans les camps du
Nord de la Syrie. Il a souligné le danger immédiat couru par les enfants et
leur droit, selon les règles coutumières de droit international, à un respect et
une protection particulière. Il a rappelé en outre les dispositions de la CIDE
et de son protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les
conflits armés : ils créent pour la France, « non la faculté au gré des
circonstances, mais l’obligation de protéger les enfants, y compris en
matière de rapatriement, de réadaptation physique et psychologique et de
(...) réinsertion sociale ».
25. Par la suite, dans un avis sur les enfants français retenus dans les
camps syriens du 24 septembre 2019
,
la CNCDH a demandé le rapatriement
des enfants français retenus en Syrie et de leurs parents sans plus tarder. La
CNCDH rappelle que le Comité international de la Croix Rouge (CICR) a
qualifié d’apocalyptiques les conditions de vie dans le camp d’Al-Hol en
juillet 2019. La CNCDH indique que trois cents enfants français sont
présents dans les camps du Rojova et que les considérations humanitaires
qui ont justifié le rapatriement de quelques-uns d’entre eux les 15 mars et
10 juin 2019 devraient valoir pour tous les enfants, d’autant plus que la
majorité d’entre eux ont moins de cinq ans et présentent de sévères
problèmes de santé physique et mentale. Elle souligne qu’ils sont des
victimes des djihadistes et de l’embrigadement idéologique qui a convaincu
leurs parents de s’installer dans la zone contrôlée par l’EI et appelle à leur
rapatriement qui est une exigence d’ordre humanitaire.
La CNCDH estime que le rapatriement des enfants est également justifié
par l’impératif de sécurité, qui sera mieux garanti par une prise en charge
adaptée de ces enfants par la justice et les services sociaux. Leur retour
serait d’autant plus urgent que des évasions des camps se multiplient. Le
retour des parents s’impose également parce que les enfants ont déjà été
éprouvés par la guerre et les conditions de détention dans les camps, et que
les parents font l’objet de mandats d’arrêts et seront déférés à leur arrivée
sur le territoire français devant des magistrats qui apprécieront la nécessité
de leur mise en détention provisoire.
La CNCDH objecte à ceux qui déclarent que les ressortissants français ne
relèvent pas de la « juridiction » de la France au sens de l’article 1
er
de la
Convention que le refus de rapatriement relève d’une décision de la France,
étant observé que les FDS ont d’ailleurs appelé à plusieurs reprises les États
à rapatrier leurs ressortissants. L’impossibilité de rentrer sur le territoire
national est une décision des autorités françaises et non des FDS. La
CNCDH fait valoir à cet égard que,
a contrario,
la France a pu, lorsqu’elle
le souhaitait avec la coopération des FDS, rapatrier un certain nombre
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d’enfants. Elle en conclut que les français concernés relèvent de la
« juridiction » de la France. Elle note également un certain nombre
d’indices qui attestent de l’existence d’un contrôle effectif des autorités
françaises sur ses ressortissants présents dans les camps : relations étroites
avec les FDS issues d’un partenariat militaire et diplomatique contre l’EI,
interdiction ciblée à l’égard des membres des familles des français retenus
dans les camps d’entrer en contact avec ces derniers, maintien évoqué d’une
femme dans un camp sur ordre des autorités françaises contre la décision
des autorités kurdes de la libérer pour l’assigner à résidence au sein de sa
famille.
La CNCDH condamne l’immunité juridictionnelle dont bénéficient les
actes de Gouvernement et la déclaration d’incompétence des juridictions
administratives saisies par les proches de personnes retenues dans les
camps. Elle estime qu’elle devrait être écartée lorsqu’un droit fondamental à
valeur constitutionnelle ou conventionnelle est en cause et rappelle que
l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant a été récemment
consacrée par le Conseil constitutionnel (CC, Décision n
o
2018-768 QPC du
21 mars 2019).
En conclusion, la CNCDH estime qu’il n’y a pas d’obstacles dirimants
au rapatriement de tous les enfants malgré les difficultés que pose celui-ci.
3.
Code pénal
26. L’article 421-2-1 du code pénal est ainsi libellé :
« Constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement
formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou
plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles
précédents. »
4.
Jurisprudence
27. Dans le cadre d’une demande tendant au rapatriement d’une mère et
ses enfants retenus dans le camp de Roj au nord-est de la Syrie, le juge des
référés du tribunal administratif a rejeté la requête en ces termes
(ordonnance du 9 avril 2019, n
o
1906076/9) :
«4. Il incombe à l’État, garant du respect du principe constitutionnel du droit de
sauvegarde de la dignité humaine, de veiller à ce que le droit de toute personne à ne
pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Il en est de
même pour le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant rappelé par le Conseil
constitutionnel dans sa décision n
o
2018-768 QPC du 21 mars 2019. Ces obligations
s’imposent à l’État au titre de son devoir général de protection de ses ressortissants
sur le territoire français, mais également hors de ses frontières.
5. Toutefois, le rapatriement de ressortissants français retenus sur un territoire
étranger relève de négociations préalables entre l’État français et les autorités qui
contrôlent ce territoire, et le déploiement de moyens spécifiques, éventuellement
militaires, sur le territoire concerné.
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EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – H.F. ET M.F. c. FRANCE
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6. En l’espèce, il résulte de l’instruction que le camp de Roj, dans le Nord-Est
syrien, où sont détenues les personnes dont le rapatriement est demandé, est
administré par des groupes armés étrangers. La production d’articles de presse ainsi
qu’une liste de noms de personnes se trouvant notamment dans ce camp comportant
des indications peu exploitables n’établissent pas que la France exercerait, par le
biais notamment de la présence d’ « agents publics », un contrôle sur ce territoire.
7. En conséquence, l’organisation ou l’absence d’organisation du rapatriement des
personnes concernées ne sont pas détachables de la conduite des relations
extérieures de la France. Elles échappent ainsi à la compétence de la juridiction
administrative française. Dès lors, la mesure d’urgence sollicitée n’est pas
susceptible de se rattacher à un litige relevant de l’office du juge statuant sur le
fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. »
C. Cadre juridique international pertinent
1.
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE)
28. Les dispositions pertinentes de la CIDE sont ainsi libellées :
Article 3
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des
institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une
considération primordiale. »
Article 6
« 1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.
2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le
développement de l’enfant. »
Article 10
« 1. Conformément à l’obligation incombant aux États parties en vertu du
paragraphe 1 de l’article 9, toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue
d’entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est
considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Les
États parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne
pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs de la demande et les membres de leur
famille.
2. Un enfant dont les parents résident dans des États différents a le droit d’entretenir,
sauf circonstances exceptionnelles, des relations personnelles et des contacts directs
réguliers avec ses deux parents. À cette fin, et conformément à l’obligation incombant
aux États parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 9, les États parties respectent le
droit qu’ont l’enfant et ses parents de quitter tout pays, y compris le leur, et de revenir
dans leur propre pays. Le droit de quitter tout pays ne peut faire l’objet que des
restrictions prescrites par la loi qui sont nécessaires pour protéger la sécurité
nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés
d’autrui, et qui sont compatibles avec les autres droits reconnus dans la présente
Convention. »
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Article 19
« 1.
Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives,
sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de
violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de
négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle,
pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses
représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. (...) »
2.
Les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies
29. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité soulignent l’obligation
des États de faciliter les poursuites, la réinsertion et la réintégration des
combattants terroristes étrangers.
30. La résolution 1373 (2001) prévoient que les États doivent (...)
« e) Veiller à ce que toutes personnes qui participent au financement, à
l’organisation, à la préparation ou à la perpétration d’actes de terrorisme ou qui y
apportent un appui soient traduites en justice, à ce que, outre les mesures qui
pourraient être prises contre ces personnes, ces actes de terrorisme soient érigés en
infractions graves dans la législation et la réglementation nationales et à ce que la
peine infligée soit à la mesure de la gravité de ces actes; »
31. La résolution 2178 (2014) adoptée le 24 septembre 2014, en ses
points 4 et 8, est ainsi libellée :
«
Demande
aux États membres de coopérer, conformément à leurs obligations, au
regard du droit international, à l’action menée pour écarter la menace que
représentent les combattants terroristes étrangers, (...) s’agissant des combattants
terroristes étrangers qui retournent dans leur pays de départ, en élaborant et
appliquant des stratégies de poursuites, de réinsertion et de réintégration ; ».
Décide
que, sans préjudice de l’entrée ou du transit nécessaires à la conduite d’une
procédure judiciaire, y compris à la conduite d’une telle procédure liée à
l’arrestation ou à la détention de tout combattant terroriste étranger, les États
Membres interdiront l’entrée sur leur territoire ou le transit par leur territoire de
toute personne pour laquelle l’État est en possession d’informations fiables lui
donnant des motifs raisonnables de penser que celle-ci cherche à entrer sur le
territoire ou à transiter par lui afin de participer aux actes décrits au paragraphe 6, y
compris tout acte ou activité indiquant qu’une personne, groupe, entreprise ou entité
est associé à Al-Qaida, comme indiqué au paragraphe 2 de la résolution 2161
(2014), étant entendu qu’aucune disposition du présent paragraphe n’oblige un État
à refuser à ses propres ressortissants ou résidents permanents l’entrée ou le séjour
sur son territoire ; »
32. La résolution 2396 (2017) adoptée le 21 décembre 2017, en son
point 30, est ainsi libellée :
« 30. Demande aux États Membres, soulignant qu’ils sont tenus, en application de
la résolution 1373 (2001), de veiller à ce que toutes personnes qui participent au
financement, à l’organisation, à la préparation ou à la perpétration d’actes de
terrorisme ou qui y apportent un appui soient traduites en justice, d’élaborer et de
mettre en œuvre, conformément aux obligations que leur impose le droit international,
des stratégies et protocoles exhaustifs et adaptés concernant les poursuites, la
réadaptation et la réinsertion, notamment pour les combattants terroristes étrangers et
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EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – H.F. ET M.F. c. FRANCE
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les conjoints et les enfants qui les accompagnent à leur retour ou à leur réinstallation,
et de déterminer s’ils sont capables de se réadapter, en consultant, le cas échéant, les
communautés locales, des praticiens de la santé mentale et de l’éducation et d’autres
organisations et acteurs pertinents de la société civile (...) »
3.
L’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (PIDCP)
33. L’alinéa 4 de cette disposition est ainsi libellé :
« 4. Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays. »
34. Le Comité des droits de l’homme, dans son observation générale
n
o
27 relative à l’article du 12 du PIDCP, indique ce qui suit :
« Le droit d’entrer dans son propre pays (paragraphe 4)
19. Le droit d’une personne d’entrer dans son propre pays reconnaît l’existence
d’une relation spéciale de l’individu à l’égard du pays concerné. Ce droit a diverses
facettes. Il implique le droit de rester dans son propre pays. Il comprend non
seulement le droit de rentrer dans son pays après l’avoir quitté, mais il peut également
signifier le droit d’une personne d’y entrer pour la première fois si celle-ci est née en
dehors du pays considéré (par exemple si ce pays est l’État de nationalité de la
personne). Le droit de retourner dans son pays est de la plus haute importance pour les
réfugiés qui demandent leur rapatriement librement consenti. Il implique également
l’interdiction de transferts forcés de population ou d’expulsions massives vers d’autres
pays. (...)
21. En aucun cas un individu ne peut être privé arbitrairement du droit d’entrer dans
son propre pays. La notion d’arbitraire est évoquée dans ce contexte dans le but de
souligner qu’elle s’applique à toutes les mesures prises par l’État, au niveau législatif,
administratif et judiciaire; l’objet est de garantir que même une immixtion prévue par
la loi soit conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et soit, dans
tous les cas, raisonnable eu égard aux circonstances particulières. Le Comité
considère que les cas dans lesquels la privation du droit d’une personne d’entrer dans
son propre pays pourrait être raisonnable, s’ils existent, sont rares. Les États parties ne
doivent pas, en privant une personne de sa nationalité ou en l’expulsant vers un autre
pays, priver arbitrairement celle-ci de retourner dans son propre pays. »
4.
Les déclarations pertinentes de la Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, du président du CICR et de la
directrice générale du Fonds des Nations Unies pour l’enfance
(l’UNICEF)
35. Dans une déclaration du 28 mai 2019, la Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, face à la situation décrite notamment par
l’OMS sur les conditions de vie du camp d’Al-Hol, exhorte les États
membres du Conseil de l’Europe à prendre toutes les mesures nécessaires
pour rapatrier d’urgence leurs ressortissants mineurs. Elle fonde cette
demande sur la protection dont bénéficient les enfants touchés par un conflit
armé en vertu des Convention de Genève et de leur protocole additionnel I,
ainsi que le protocole facultatif de 2000 à la CIDE concernant l’implication
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EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – H.F. ET M.F. c. FRANCE
d’enfants dans les conflits armés. Elle souligne que les enfants sont des
victimes. Elle encourage également à envisager de rapatrier les mères de ces
enfants, en vertu de l’intérêt supérieur de ces derniers.
36. Dans une déclaration du 22 mars 2019, le président du CICR
constate les conditions extrêmement précaires dans lesquelles vivent les
dizaines de milliers de personnes (aujourd’hui plus de 74 000) qui
s’entassent dans le camp d’Al-Hol. Il indique que des dizaines d’enfants
sont morts de froid ou en raison des conditions de vie déplorables au sein du
camp.
37. Dans une déclaration du 21 mai 2019 (UNICEF/UN029014), la
directrice générale d’UNICEF indique que 29 000 enfants étrangers seraient
bloqués en Syrie (20 000 d’Irak, 9000 de 60 autre pays). Elle précise que la
plupart le sont avec leur mère et vivent dans des conditions
« épouvantables », avec une menace constante pour leur santé, leur sécurité
et leur bien-être. L’UNICEF déclare que les enfants sont victimes de
circonstances absolument tragiques et de violations flagrantes de leurs
droits. Tout en reconnaissant le droit souverain de chaque pays à protéger
ses intérêts en matière de sécurité nationale, l’UNICEF exhorte les États
membres à s’acquitter de leur responsabilité de protéger les mineurs,
conformément à la CIDE et, en particulier, à fournir aux enfants de leurs
ressortissants qu’ils soient nés sur leur sol ou non, des documents d’état
civil, à empêcher que ces enfants ne soient apatrides ou ne le deviennent, à
assurer leur retour sûr, digne et volontaire dans leur pays d’origine et à
soutenir leur réintégration.
Dans une déclaration du 4 novembre 2019 la Directrice générale affirme
que « la dernière flambée dans le nord-est de la Syrie renforce l’urgence
pour les gouvernement de rapatrier les enfants étrangers bloqués dans la
région avant qu’il ne soit trop tard ». Elle exhorte les gouvernements
nationaux à ramener les enfants, saluant les quelques pays, dix-sept, qui ont
rapatrié plus de six cent cinquante enfants, et réitérant pour les autres que
« l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale en
tout temps ».
GRIEFS
38. Les requérants précisent qu’ils agissent à la fois au nom et pour le
compte de leur fille et de leurs petits-enfants, dans l’impossibilité de
communiquer avec l’extérieur et de fournir une procuration à leur conseil
pour les représenter devant la Cour, et en leur nom propre. Ils précisent que
leur fille leur a fourni, autant que possible, des instructions précises et
explicites quant à son souhait de revenir sur le territoire français et ils se
réfèrent à son message du 16 avril 2019 (paragraphe 6 ci-dessus). Ils
estiment qu’ils remplissent les conditions pour être autorisés à agir devant la
Cour pour le compte de leurs proches car ceux-ci sont très vulnérables et
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EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – H.F. ET M.F. c. FRANCE
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placés dans des circonstances exceptionnelles. Ils ajoutent que leurs intérêts
sont communs et que ni le ministre dans ses conclusions ni les juridictions
nationales n’ont contesté leur capacité à agir au nom de leur fille et de leurs
petits-enfants.
39. Les requérants soutiennent que le titre de juridiction de l’État
français tient à la décision de ce dernier, prise exclusivement sur le territoire
national, de ne pas rapatrier L. et ses enfants et de les laisser aux mains des
FDS. Ils indiquent que les actes accomplis dans l’ordre interne et ayant un
effet extraterritorial relève de la juridiction de cet État (Soering
c. Royaume-
Uni,
7 juillet 1989, série A n
o
161). Ils font également valoir que la Cour a
déjà reconnu qu’une décision d’incompétence des autorités judiciaires d’un
État vis-à-vis d’évènements s’étant déroulés hors du territoire national et
vis-à-vis de requérants situés hors du territoire national pouvait faire exister
un « lien juridictionnel » entre l’État et les requérants (Markovic
et autres
c. Italie
[GC], n
o
1398/03, CEDH 2006-XIV).
40. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants allèguent que
la décision de ne pas rapatrier L. et ses enfants les expose à des traitements
inhumains et dégradants, eu égard à leur vulnérabilité et leurs conditions de
détention très problématiques dans le camp d’Al-Hol (paragraphes 35 à 37
ci-dessus). Ils affirment que la France dispose des moyens de faire cesser
cette situation puisque les FDS demandent aux États de rapatrier leurs
ressortissants. Selon eux, l’obstacle au rapatriement ne résiderait pas dans
l’absence de moyens matériels, ni dans le contrôle exercé par les FDS sur
leurs proches ni sur d’éventuelles procédures judiciaires menées par les
autorités kurdes mais dans l’absence pure et simple de volonté des autorités
françaises de mettre fin à cette situation.
Ils font valoir que la situation de leurs proches est différente de celle de
ressortissants qui seraient détenus par les autorités d’un autre État souverain
dans le but d’être jugé. En l’espèce, il n’y a ni État souverain ni procédure
judiciaire en cours dans le nord-est syrien. L. et ses enfants sont détenus sur
un territoire contrôlé par des autorités non étatiques, alliées de la France
dans la coalition contre l’EI et qui souhaitent que chaque État rapatrie ses
propres ressortissants.
41. Les requérants allèguent que le refus de rapatriement de L. et ses
enfants est contraire à l’article 3 § 2 du protocole n
o
4 à la Convention. Ils
affirment que cette disposition consacre un droit absolu et que la décision de
ne pas les rapatrier est arbitraire et sans but légitime. Ils réitèrent que les
autorités du nord-est syrien ne peuvent pas les juger car le « droit » kurde ne
le prévoit pas et que le motif sécuritaire, s’il est légitime, ne peut être
évoqué utilement dès lors que L. est sous le coup d’une procédure pénale en
France et souhaite rentrer dans le but d’être jugée.
42. Invoquant l’article 3 § 2 du Protocole n
o
4 combiné à l’article 13 de
la Convention, les requérants se plaignent de l’absence de recours effectif
permettant de contester la décision des autorités françaises de ne pas
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rapatrier leurs proches. Ni l’administration, ni les juridictions
administratives n’offrent de recours interne permettant d’obtenir une
décision sur la violation de l’article 3 § 2 du Protocole n
o
4 dans le cas où
des ressortissants français se trouvent hors du territoire national.
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QUESTIONS AUX PARTIES
1. Les faits dont les requérants se plaignent en l’espèce relèvent-ils de la
« juridiction » de la France au sens de l’article 1
er
de la Convention et sont-
ils imputables à la France, au regard en particulier :
- du critère du contrôle effectif sur le territoire et sur les individus
concernés (Al-Skeini
et autres c. Royaume-Uni
[GC], n
o
55721/07, §§ 131
à 142, CEDH 2011) ;
- de l’engagement par les requérants d’une procédure en référé devant
les juridictions internes visant à enjoindre au ministre de l’Europe et des
affaires étrangères d’organiser le rapatriement de leur fille et de leurs petits-
enfants (Markovic
et autres c. Italie
[GC], n
o
1398/03, § 54,
CEDH 2006-XIV);
- de l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre de la fille des
requérants. Le Gouvernement est invité à donner des précisions sur la
procédure judiciaire ouverte en France concernant L. du chef d’association
de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme ;
- des éventuelles répercussions sur les droits garantis par l’article 3 de la
Convention du fait de l’absence de mesures prises par les autorités
françaises pour rapatrier les proches des requérants. La responsabilité de
l’État français à cet égard peut-elle être engagée sur le terrain de l’article 3
compte tenu des traitements administrés dans le camp d’Al-Hol, en
particulier à l’égard des petits-enfants des requérants (responsabilité de
l’État au regard des conséquences extraterritoriales de ses décisions ou
omissions,
Soering c. Royaume-Uni,
7 juillet 1989, série A n
o
161) ?
- du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont on est le ressortissant
garanti par l’article 3 § 2 du Protocole n
o
4 ;
- des rapatriements d’autres mineurs français opérés en mars et juin
2019 ? Le Gouvernement est invité à préciser les circonstances et les bases
de ces rapatriements : les mineurs concernés relevaient-ils de la juridiction
de la France lorsqu’ils ont été remis à ses agents alors même qu’elle exerçait
son autorité en dehors de son territoire (comparer,
Öcalan c. Turquie
[GC],
n
o
46221/99, § 91, CEDH 2005-IV).
2. Les griefs des requérants sont-ils compatibles
ratione personae
avec
les dispositions de la Convention ? Les requérants ont-ils qualité pour
soulever au nom et pour le compte de L. et de leurs petits-enfants, et en leur
nom, les griefs tirés des articles 3 de la Convention, 3 § 2 du Protocole n
o
4
à la Convention et 13 de la Convention ?
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EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – H.F. ET M.F. c. FRANCE
3. En cas de réponse affirmative aux deux premières questions, eu égard
aux griefs des requérants et aux documents qui ont été soumis, doit-on
considérer que :
a) L. et ses enfants sont confrontés à des traitements contraires à
l’article 3 de la Convention et que les autorités françaises sont débitrices
d’une obligation de rapatriement à leur égard ? Les parties sont invitées à
distinguer dans leurs réponses la situation de L. de celle de ses enfants.
b) L. et ses enfants, ressortissants de l’État défendeur, sont privés du
droit d’entrer sur le territoire de celui-ci, au sens de l’article 3 § 2 du
Protocole n
o
4 ?
En particulier, quel poids doit-il être donné au rapatriement de plusieurs
enfants en France en mars et juin 2019 et au fait que L. fait l’objet d’un
mandat d’arrêt en France ?
4. Les requérants avaient-il à leur disposition, comme l’exige l’article 13
de la Convention, un recours interne effectif au travers duquel ils auraient
pu formuler leur grief de méconnaissance de l’article 3 § 2 du Protocole 4 ?